ARRET-COUR D’APPEL DE DIJON le 05 juillet 2018

FV/IC So c i é t é DEFEASANCE BARONESS UGC/

Hervé DECHRISTE. Etablissement URSSAF DE

CHAMPAGNE ARDENNE

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le COUR D’APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 05 JUILLET 2018 RÉPERTOIRE GÉNÉRAL N°18/00222 MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 22 janvier 2018, rendue par le tribunal de commerce de Chaumont

RG : 2017003372

APPELANTE :

DEFEASANCE BARONESS UG (haftungsbeschränkt), société de droit allemand, prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social sis :

Bürgerstrasse 82 12347 BERLIN ALLEMAGNE

représentée par Me Cécile RENEVEY – LAISSUS, membre de la SELARL ANDRE DUCREUX RENEVEY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 2 assistée de Me Frédéric GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

Maître Hervé DECHRISTE es qualité de liquidateur à la procédure de liquidation judiciaire de la SAS RIB domicilié au siège social sis : rue Marguerite Perey – Parc Energie – Bât. 11

52100 BETTANCOURT LA FERREE

représenté par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126 assistée de Me Alain CHARDON, avocat au barreau de NANCY URSSAF DE CHAMPAGNE ARDENNE représentée par son Directeur en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis :

202 Rue des Capucins CS 60001

51089 REIMS CEDEX

représentée par Me Florent SOULARD, membre de la SCP SOULARD-RAIMBAULT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 127

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 mai 2018 en audience publique devant la cour composée

de :

Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, ayant fait le rapport,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

Michel WACHTER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

MINISTERE PUBLIC : l’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Philippe CHASSAIGNE, avocat général.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Elisabeth GUÉDON

RG n°18/00222 – Page 2/4 –

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 05 Juillet 2018,

AR RÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Elisabeth

GUEDON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte d’huissier du 19 décembre 2017, l’URSSAF de CHAMPAGNE ARDENNE assigne la SAS RIB, dont le siège social est situé 47 B rue Jeanne d’ Arc 52100 Saint-Dizier et qui a une activité de chaudronnerie, serrurerie, tuyauterie, maintenance industrielle, montage et installation d’usines, devant le tribunal de commerce de Chaumont aux fins de voir constater son état de cessation des paiements et l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

La SAS RIB ne comparaît pas, l’assignation ayant fait l’objet d’un procès-verbal de recherches.

L’ URSSAF fait état d’une créance de 229 629,90 € correspondant aux cotisations patronales et ouvrières depuis 2015 et aux majorations, et du caractère vain de toutes ses tentatives de recouvrement tant amiables que judiciaires. Par jugement du 22 janvier 2018, le tribunal de commerce de Chaumont constate l’état de cessation des paiements de la SAS RIB qu’il fixe provisoirement à la date du 13 février 2017, et prononce l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire . Maître Hervé DECHRISTE est désigné en qualité de liquidateur.

* * * * *

La société de droit allemand DEFEANCE BARONESS UG venant aux droits de la SAS RIB fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel le 14 février 2018. Par conclusions récapitulatives déposées le 7 mai 2018, elle demande à la cour d’appel de : “ Vu les articles 4, 31, 11, 118, 119, 643, 694 et 700 du code de procédure civile, Vu l’article 1844-5 du code civil,

– Vu les articles L 123-9, L 640-1, L 640-5 et R 662-1 du code de commerce, Vu la jurisprudence produite,

– Recevoir la société DEFEANCE BARONESS, préqualifiée (?), en son appel,

– Annuler l’acte introductif d’instance, subséquemment l’ensemble de la procédure et le jugement du tribunal de commerce de Chaumont du 22 janvier 2018,

– subsidiairement, dire la procédure nulle et annuler le jugement susvisé,

– très subsidiairement, infirmer le jugement susvisé en toutes ses dispositions,

– Condamner l’ URSSAF de CHAMPAGNE ARDENNES à 2 000 € au titre des frais irrépétibles,

– Condamner Maître DECHRISTE à 1 000 € au titre des frais irrépétibles,

– Condamner l’ URSSAF de CHAMPAGNE ARDENNES aux entiers dépens de première instance et d’appel”. Par conclusions déposées les 9 et 10 avril 2018, l’ URSSAF de CHAMPAGNE ARDENNES demande à la cour de : “ Rejetant toutes conclusions contraires,

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

– Condamner la société DEFEASANCE BARONESS UG à payer à l’URSSAF de CHAMPAGNE-ARDENNE une somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– La condamner aux entiers dépens”.

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Par conclusions déposées le 2 mai 2018, Maître Hervé DECHRISTE es qualité demande à la cour de : “ Déclarer la société de droit allemand DEFEASANCE BARONESS UG mal fondée en son appel, et l’en débouter,

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 janvier 2018 par le tribunal de commerce de Chaumont, Y ajoutant :

– Condamner la société de droit allemand DEFEASANCE BARONESS UG à payer à Maître Hervé DECHRISTE, ès qualités de liquidateur à la procédure de liquidation judiciaire de la SAS RIB, la somme de 5.000,00 €, à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, outre celle de 4.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Dire et juger que les dépens d’appel seront en employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire, dont distraction au profit de Maître Claire GERBAY, Avocat à la Cour”. Suivant avis du 3 mai 2018, le Ministère Public demande la confirmation du jugement. En application des articles 455 et 634 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions

sus-visées.

MOTIVATION :

Il est établi par les pièces du dossier :

– que la SAS RIB a fait l’objet d’une dissolution-confusion conformément aux dispositions de l’article 1844-5 du code civil au sein de son associée unique la Sarl APRIS selon décision du 3 janvier 2017 enregistrée le 7 février 2017 ; que cette décision a été régulièrement publiée dans un journal d’annonces légales le 6 janvier 2017 et que, faute d’opposition dans les 30 jours, la société RIB a perdu sa personnalité morale ; qu’elle a été radiée du RCS de Chaumont le 13 février 2017,

– que la Sarl APRIS a fait l’objet d’une dissolution-confusion conformément aux dispositions de l’article 1844-5 du code civil au sein de son associée unique la société de droit allemand DEFEANCE BARONESS UG selon décision du 4 janvier 2017 enregistrée le 16 février 2017 ; que cette décision a été régulièrement publiée dans un journal d’annonces légales le 9 janvier 2017, et que, faute d’opposition dans les 30 jours, la société APRIS a perdu sa personnalité morale ; qu’elle a été radiée du RCS de Châlon en Champagne le 17 février 2017. La disparition de la personnalité morale entraîne celle de la capacité d’ester en justice. Par application de 117 du code de procédure civile, constitue une irrégularité de fond le défaut de capacité d’ester en justice. L’assignation délivrée à une partie qui n’a pas la capacité d’ester en justice est nulle et en conséquence toute la procédure qui en découle. Pour s’opposer aux prétentions de l’appelante, Maître DECHRISTE es qualité soutient que L 640-5 du code de commerce permet l’assignation du débiteur qui a cessé son activité dans le délai d’un an suivant sa radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation ; qu’en l’espèce, la radiation est intervenue le 13 février 2017 et qu’en conséquence l’assignation de l’URSSAF délivrée le 19 décembre 2017 est régulière. Or l’article L 640-5 du code de commerce est rédigé comme suit : “ Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette assignation doit intervenir dans le délai d’un an à compter de la radiation du registre du commerce. S’il s’agit d’une personne morale, le délai court à compter de la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation”. Le débiteur poursuivi en l’espèce étant la SAS RIB, soit une personne morale, le délai pour agir court de la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation. Or il est établi par les pièces du dossier que la SA RIB a fait l’objet non pas d’une liquidation, mais d’une dissolution sans liquidation. Les dispositions invoquées par Maître DECHRISTE es qualité sont en conséquence inapplicables. Il ne peut pas plus être fait application du principe selon lequel une société, quelle qu’elle soit, conserve sa personnalité morale même après la clôture de la liquidation, quand elle a des créances et des dettes dès lors qu’en l’espèce il n’y a pas eu de liquidation que ce soit à l’occasion de la première ou de la seconde dissolution. L’URSAFF et Maître DECHRSTE es qualité soutiennent ensuite que les opérations de dissolution-confusions réalisées en quelques jours successivement sont purement frauduleuses, que la fraude corrompt tout, et qu’en conséquence ces opérations leur sont inopposables ; qu’en conséquence la société RIB avait sa personnalité juridique et pouvait valablement être assignée dans le délai d’un an suivant sa radiation du RCS en application de l’article L 640-5 1°du code de  commerce.

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Or si l’adage fraus omnia corrumpit permet au juge de paralyser la norme juridique validant une opération avec l’intention de préjudicier à autrui, il ne s’agit que d’un fondement général qui ne peut être invoqué qu’à titre subsidiaire. Cette théorie ne peut être utilisée que si la victime de la fraude ne dispose d’aucun autre moyen raisonnablement praticable pour faire respecter ses droits. En l’espèce, il n’est pas contesté que les deux opérations de dissolution-confusion ont donné lieu à des publications régulières ouvrant notamment pour l’URSSAF un délai d’opposition au cours duquel elle n’a pas agi. A supposer même que les deux opérations critiquées puissent être considérées comme participant d’un comportement frauduleux, l’URSAFF ne peut pas prétendre les remettre en cause sur le fondement du principe général alors qu’elle n’a pas usé de la voie qui lui était spécialement ouverte par l’article 1844-3 du code civil pour s’opposer à ces dissolutions quel qu’en soit le motif ou en conditionner l’aboutissement à la satisfaction préalable de ses droits. Il n’est pas plus contesté que la société de droit allemand qui vient aux droits de la SAS RIB est clairement identifiée et que, cette société se trouvant dans l’espace européen, la mise en oeuvre de ses droits est tout à fait envisageable. L’appel n’est en conséquence pas abusif.

PAR CES MOTIFS :

Déclare nulle l’assignation délivrée le 19 décembre 2017 par l’URSSAF de CHAMPAGNE ARDENNE à la SAS RIB et le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chaumont le 22 janvier 2018, Déboute Maître DECHRISTE es qualité de sa demande de dommages intérêts pour appel abusif, Condamne l’URSSAF de CHAMPAGNE ARDENNE aux entiers dépens de première instance et d’appel, Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles. Le Greffier, Le Président,

NOTE – ARRÊT COUR D’APPEL DE DIJON, 5 JUILLET 2018, SOCIETE RIB

Il s’agit ici, comme dans d’autres cas commentés, de la situation classique dans laquelle une société ayant fait l’objet d’une TUPTRANS s’est trouvée assignée en liquidation judiciaire, par un créancier non opposant, postérieurement à la disparition de sa personnalité morale.

Le Tribunal de commerce, comme souvent en pareil cas, ouvre la procédure collective.

Cet arrêt est particulièrement intéressant car il donne une solution de principe, dans une formule concise et parfaitement claire, aux différents moyens classiquement développés par les créanciers non opposants assignant tardivement en liquidation judiciaire et par les mandataires liquidateurs qui défendent le mandat qui leur a été confié.

C’est ainsi qu’il écarte le moyen tiré de l’article L 640-5 du code de commerce, pont-aux-ânes classique des tribunaux de commerce : cet article en matière de liquidation judiciaire (comme l’article L 631-5 en matière de redressement judiciaire) permet l’ouverture d’une procédure collective dans le délai d’un an à compter de la radiation de la personne morale, consécutive à la clôture des opérations de liquidation. Il s’agit du cas d’une dissolution suivie d’une liquidation amiable et non d’une dissolution-confusion aussi appelée dissolution sans liquidation. La jurisprudence est constante[1] : il ne faut pas confondre les deux procédures et les article L 640-5 (et L 631-5) du code de commerce sont inapplicables à la dissolution-confusion. Ce qui n’empêche que beaucoup de tribunaux de commerce commettent encore cette erreur[2].

La Cour écarte encore le moyen tiré de la « fraude à la loi », développé par le mandataire liquidateur en mentionnant spécifiquement et clairement le caractère subsidiaire de la théorie de la fraude, laquelle est inapplicable lorsque le titulaire d’un droit, d’une part n’a pas exercé les voies de recours qui lui étaient ouvertes (ici, faire opposition à la dissolution-confusion dans le délai de 30 jours) et, d’autre part, dispose de voies de recours raisonnablement praticables (ici la poursuite de la confondante, qui se situe dans l’espace juridique européen).

Cette jurisprudence est conforme à celle inaugurée au début des années 2010 par la Cour d’appel de Versailles et, depuis reprise de manière constante.

[1] Depuis un arrêt de la Cour de Cassation Com. 4 janvier 2000 pourvoi n°97-15866 Légifrance

[2] Cf. Yves Laisné, Guide pratique de la dissolution-confusion, spécialement dans la perspective de la transmission universelle de patrimoine transfrontalière, Paris, Editions EFE, 2ème édition, 2015, n° 947, 948

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